Les Assises de l’édition suisse 2017

Les Assises de l’édition suisse 2017

Assises de l'édition suisse 2017

Assises de l’édition suisse au Salon du livre et de la presse de Genève, 27 avril 2017

Les Assises de l’édition suisse prennent la forme d’une journée d’étude dédiée aux professionnels de la filière du livre. Elles ont eu lieu cette année le 27 avril et elles étaient précédées la veille par Les Assises de l’édition francophone. Cette manifestation, désormais traditionnelle dans le cadre du Salon du livre et de la presse, se tient sous le patronage de la Confédération: Office fédéral de la culture et Département fédéral des affaires étrangères. Au cours des débats et tables rondes, les intervenants ont décliné la thématique de « la relève dans les métiers du livre en Suisse, un état des lieux », sous l’angle des politiques publiques, du passage de témoin dans les maisons d’édition ou encore de l’avenir de la filière.

Politiques publiques

Fédéralisme oblige, la Confédération ne dispose que d’un rôle subsidiaire dans la promotion de la création littéraire: l’attribution de prix littéraires, de celui du plus beau livre suisse, ou encore, par le biais de la reconnaissance du rôle culturel des éditeurs, leur inscription dans une filière économique spécifique. Cet aspect est important et revient dans nombre d’interventions: la littérature, de par sa dimension culturelle, est soutenue pour le rôle qu’elle joue dans la cohésion du pays.

Pour Jacques Cordonier, chef du Service de la culture valaisan depuis sa création en 2005, il est important de maintenir un environnement propice à la création littéraire pour l’ensemble des acteurs: auteurs, libraires, éditeurs, bibliothèques. Il plaide pour une reconnaissance du métier d’auteur, notamment par le développement de l’Institut littéraire suisse à Bienne. Si les bibliothèques ont été le premier métier à investir le numérique, elles doivent aujourd’hui assumer leur rôle d’acteur culturel, ce qu’elles font en diversifiant les profils de recrutement.

Jacques Cordonier considère qu’il est plus efficace de mettre en place des politiques publiques avec des interlocuteurs bien organisés, à l’exemple de Valais Films[1] pour l’audiovisuel.

Pierre-Alain Hug, chef de l’Office cantonal de la culture et du sport nouvellement créé à Genève, estime que pour des raisons de masse critique, le bon échelon d’action devrait être celui de la Suisse romande.

Une maison d’édition est avant tout une entreprise. Il y a une augmentation générale du nombre de titres publiés, à mettre en lien avec la diminution des coûts de production que permet le numérique. Mais en fin de compte les produits de mauvaise qualité sont sanctionnés par les lecteurs qui ne les achètent pas.

Les éditeurs suisses: de petites structures

Dans Les Batailles du livre, François Vallotton remarque que sur les 60 éditeurs que compte l’ASDEL (Association suisse des diffuseurs, éditeurs et libraires), la moitié publient moins de cinq titres par an et ont un chiffre d’affaire inférieur à 200’000 francs[2]. Les maisons d’édition suisses sont donc très souvent des micro-entreprises.

La passion de découvrir et de faire partager des textes est le moteur principal, pas de s’enrichir… Selon Annette Berger, fondatrice en 2010 de Kommode Verlag , le livre suscite un certain enthousiasme et le métier d’éditeur porte encore une image prestigieuse.

Pour Olivier Babel, une maison d’édition est « tout sauf un business, mais il faut le gérer comme une entreprise, de façon très stricte ». Les Presses polytechniques et universitaires romandes qu’il dirige ont connu des belles années au cours de la décennie 1990-2000. Depuis quelques années, en raison de la dévaluation de l’euro, la conduite des affaires est très difficile pour le marché de l’exportation.

Par ailleurs l’édition est considérée comme une branche risquée et l’obtention de prêts bancaires pour développer l’activité est quasiment impossible. Thomas Heilmann de Rotpunktverlag à Zurich signale que des stratégies de financement alternatives, comme le crowdfunding, peuvent être fructueuses.

La relève

Cette session 2017 avait pour thème La relève dans les métiers du livre en Suisse. A part quelques cours en Suisse alémanique, il n’existe pas de formation pour être éditeur. Pour Fanny Mossière des éditions Noir sur Blanc, des études de lettres constituent cependant une bonne base pour « empoigner des textes ». D’autres éditeurs comme Olivier Babel ou Fabio Casagrande sont titulaires de diplômes en sciences économiques.

Le métier s’apprend le plus souvent par transmission. Matthieu Mégevand qui a pris la succession de Gabriel de Montmollin à la tête de Labor & Fides, estime qu’il a fallu deux années pour achever la transition. L’importance du mentorat est soulignée.

L’ « industrie » du livre

Le terme d »industrie du livre est une dénomination abusive. Il faudrait plutôt parler d' »artisanat » aux deux extrémités de la chaîne: l’édition et la librairie.

Les 12 librairies du réseau Payot vendent trois millions d’exemplaires par an, soit 220’000 références différentes. 60 % de ces livres sont vendus à moins de 5 exemplaires! La dispersion de l’offre est très caractéristique de ce type de commerce. La richesse du fonds est à double tranchant: c’est un facteur d’attractivité pour la clientèle, mais il immobilise des capitaux et de l’espace. Les grands groupes d’édition français Editis et Hachette ont mis en place des chaînes d’impression à la demande, permettant de fournir rapidement les libraires de publications dont la rotation est lente.

En Suisse romande Payot observe une baisse des prix de 20% depuis 2011. C’est une aubaine pour le client, mais pèse sur les bénéfices. Pascal Vandenberghe le directeur de Payot n’attend pas pour autant d’aides directes de la part des pouvoirs publics. En revanche, il salue la préférence donnée par les bibliothèques genevoises à l’achat local et regrette la concurrence déloyale des géants du commerce en ligne qui ne respectent pas les obligations et conditions de travail. Le comportement des consommateurs n’est par ailleurs pas anodin.

Ivan Slatkine, directeur de Slatkine Reprints SA et des Editions Honoré Champion, relève que les éditeurs ont toujours besoin d’un bon maillage de libraires pour promouvoir les publications.

Et le livre numérique? Les acteurs présents s’accordent pour penser que l’édition destinée aux besoins professionnels s’orientera toujours plus vers ce support numérique. En revanche le livre imprimé conservera ses adeptes pour la lecture plaisir.

Conclusion

Le marché du livre est une activité commerciale dont la portée culturelle est reconnue. En Suisse cette branche est soutenue par les différents échelons politiques: Confédération, cantons, mais aussi les villes. Le niveau cantonal est toutefois prépondérant. Le métier d’éditeur est une activité à forte valeur d’image, mais à faible rentabilité, largement représenté en Suisse par des micro-entreprises. Le constat est à peu près similaire pour les libraires.

Le paradoxe est que la production de livres ne cesse d’augmenter dans un contexte de trop-plein informationnel: en Italie il se publiait 13’000 titres par an dans les années 1980, contre 60’000 en 2016!

Finalement, si les intervenants semblaient relativement confiants pour la poursuite de leurs activités, aucun n’a prétendu que le futur serait plus radieux qu’aujourd’hui…

Ajout du 16.07.2017

ActuaLitté vient de publier un compte-rendu détaillé de ces deux journées des Assises de l’édition.

[1] http://valaisfilms.ch

[2] François Vallotton, Les batailles du livre. L’édition romande, de son âge d’or à l’ère numérique, Lausanne, Presses polytechniques et universitaires romandes, 2014, p. 46

Publier son livre à l’ère numérique

Publier son livre à l’ère numérique

Publier son livre à l'ère numérique

Marie-Laure Cahier et Elizabeth Sutton, Publier son livre à l’ère numérique, 2016

Ecrire un livre implique encore l’idée de prendre du recul sur le sujet que l’on traite, de dresser l’état de l’art sur une question, appelé à faire date. Même si c’est de moins en moins le cas, et même si à coup sûr de nouveaux ouvrages paraîtront sur le sujet, le livre de Marie-Laure Cahier et Elizabeth Sutton, Publier son livre à l’ère numérique, sorti il y a bientôt une année, est toujours d’actualité.

Témoignages

Le recours à de très nombreux témoignages est un des mérites du livre. Ces expériences s’enrichissent mutuellement. Elles ne se limitent pas d’ailleurs à l’édition numérique aborde aussi globalement la question de l’auto-édition. Il s’agit d’une exploration pragmatique des stratégies de publication offertes, où le choix d’un support peut être une question d’affinité, mais surtout d’opportunité.

On retrouve dans ces pages une figure connue, celle de l’écrivain François Bon, « star » incontestée des nouvelles formes éditoriales et défricheur du numérique au long cours (p. 10-13). Ce qui ne l’empêche pas d’être aussi publié par de grands éditeurs parisiens.

Le récit de Daniel Ichbiah (p. 77-78) illustre de façon emblématique une des recommandations fortes de ce livre: l’autonomisation de l’auteur. Apprenant incidemment en avril 2014 que son ouvrage sur les Rolling Stones était épuisé, Daniel Ichbiah demande à son éditeur de le réimprimer en prévision de la venue du groupe à Paris agendé deux mois plus tard: refus de l’éditeur et impossibilité de briser le contrat pour reprendre le contrôle de la diffusion dans un délai si court. Le spécialiste décide alors d’autoéditer sur la plate-forme d’Amazon Les Chansons des Rolling Stones, un livre réalisé en un temps record et composé de différents textes écrits durant les années précédentes. Le jour du concert – et grâce à une promotion parfaitement professionnelle – le livre est devenu le numéro un des ventes d’Amazon. Il se vend aujourd’hui à 3.80 € en version Kindle et 9.90 € en papier (impression à la demande).

Cette aventure illustre bien un fossé qui se creuse: d’un côté la lenteur des éditeurs traditionnels, de l’autre la souplesse des plates-formes de publication en ligne. Est-ce à dire que les éditeurs traditionnels sont inefficaces? Ce serait largement exagéré; ils ont simplement conservé des processus qui fonctionnaient dans un autre paradigme. Et même s’ils ont raccourci leur circuit de production pour pouvoir sortir des livres plus proches de l’actualité (mais également plus éphémères) celui-ci reste bien trop long au regard du numérique.

La démarche de Daniel Ichbiah montre clairement la nouvelle opportunité que représente l’édition numérique. Sans la plate-forme d’Amazon, l’auteur n’aurait pas été en mesure de produire son livre et les fans n’auraient rien acheté ! L’auteur n’aurait pu alors que maugréer contre la courte vue de son éditeur.

Ces histoires de succès électroniques figurent en bonne place. Mais les deux auteures ne manquent pas de rappeler aux amateurs candides la loi impitoyable du numérique: la plupart des livres autoédités sont noyés dans une masse qui les rend invisibles. L’audience n’arrive pas par miracle, mais demande a minima une stratégie réfléchie de promotion. « Les auteurs sont en général nombreux à pointer les défaillances des éditeurs traditionnels en matière de promotion et de communication. Mais vous découvrirez vite qu’il n’est guère plus facile pour un auteur indépendant de réussir le lancement de son ouvrage. » (p. 123).

Typologie

Le livre présente une galerie de portraits d’auteurs types, selon leur affinité avec le numérique, leur relation avec leur éditeur, leur envie de tester de nouvelles formes de publication, ou encore leur capacité à produire tout seuls leurs publications. Cette dernière catégorie d’auteurs est particulièrement ciblée ici. La couverture porte d’ailleurs en sous-titre « Le guide de l’auteur-entrepreneur », allusion à ce statut emblématique de la nouvelle économie.

S’ensuit l’énumération de cinq raisons pour ne pas devenir un auteur-entrepreneur: la pléthore de manuscrits et de candidats à la publication, la faiblesse du marché du livre numérique en France, le désir de devenir un auteur à succès, une allergie à utiliser des outils numériques ou encore le manque de temps. A quoi répondent dans le chapitre suivant cinq raisons pour franchir au contraire le pas: s’affranchir du filtre d’entrée constitué par les éditeurs, afficher volontairement une démarche alternative militante, améliorer son revenu, contrevenir aux défaillances des éditeurs, créer sa propre communauté de lecteurs.

Puis le livre envisage méthodiquement les questions pratiques: les acteurs de l’autoédition (plates-formes d’autoédition, diffuseurs-agrégateurs, consultants), la fixation du prix de vente, la fabrication numérique et bien sûr la promotion, qui va miser à fond sur les réseaux sociaux, le contact avec les journalistes. Le livre se termine sur les promesses de rémunération que l’on peut attendre (« Allez-vous gagner de l’argent? ») et la question du statut fiscal le plus approprié. Concernant la rémunération, l’auteur indépendant gagnera plus pour un ebook vendu que pour un exemplaire imprimé. Mais le volume des ventes est bien plus aléatoire. « Pour notre part, nous restons sur l’idée de base qu’il se vend toujours beaucoup plus de livres imprimés que d’ebooks. » (p. 148).

Des univers étanches

Comme dans d’autres domaines bousculés par l’économie numérique, le monde de l’édition aujourd’hui s’apparente à une querelle des anciens et des modernes. Les premiers seraient en perte de vitesse, alors que les seconds n’ont pas encore réalisés leurs promesses. Il en résulte qu’il est difficile de miser sur les uns comme sur les autres. Cette opposition est clairement assumée par les deux spécialistes, qui ont une connaissance intime du secteur.

Les anciens, les éditeurs traditionnels, travaillent dans des temps longs, peu réactifs, rémunérant peu leurs auteurs (en pourcentage). L’autoédition « se développe parallèlement à celui de l’édition traditionnelle, comme un monde à part. Les vecteurs de communication et les relais d’information développés en autoédition ne recoupent pas (encore) ceux de l’édition traditionnelle: le libraire et le journaliste, cibles prioritaires de l’édition classique, sont en autoédition moins influents que le blogueur spécialisé, la plateforme de distribution et, bien évidemment, les lecteurs. » (p. 125).

Empowerment

Autonomisation, autoentrepreneriat, empowerment… Nous ne cessons d’entendre ces mots d’ordre en ces années 2010 bousculées par la numérisation de l’économie. C’est le conseil que l’on donne aux jeunes comme un mantra: prends ton destin à bras le corps, romps avec les voies toutes tracées. C’est un des aspects d’une société toujours plus individualiste.

Si le concept d’auto-édition n’exclut pas le recours à d’autres intervenants (agents, relais, blogueurs, développeurs, conseillers…) c’est bien l’auteur et lui seul qui a son sort entre les mains. Cela correspond bien au parcours des auteures de Publier son livre à l’ére numérique, devenues indépendantes et affranchies des éditeurs: Elizabeth Sutton est co-fondatrice d’un site d’informations sur les ebooks (idboox.com) et Marie-Laure Cahier a créé Cahier&Co, une entreprise de conseil et d’accompagnement éditorial.

Les 500 mots métiers

Les 500 mots métiers

Les 500 mots métiers 2016

Jean-Philippe Accart, Clotilde Vaissaire-Agard, Les 500 mots métiers. Bibliothèques, archives, documentation, musées, Bois-Guillaume, Ed. KLOG, 2016

A quoi bon en 2016 tenir entre les mains un dictionnaire ? Tout le monde semble s’être mis d’accord pour affirmer que ces « bases de données » de papier n’ont plus d’avenir: les enfilades d’Encyclopaedia Britannica et l’Encylopaedia Universalis ne sont plus imprimées depuis plusieurs années. Quant au Petit Robert, bien moins encombrant mais riche de 300’000 définitions, il résiste mais est désormais accompagné d’une clé USB pour permettre une consultation en ligne.

En quelques 200 pages, Les 500 mots métiers est une réalisation de salut public dans un environnement saturé d’information et adepte des superlatifs: croissance exponentielle des contenus, des échanges, de la taille des données… Ce lexique, utile et synthétique, contraste avec l’immensité des ressources d’Internet. Il tranche aussi sur l’infinie variété des discours, qui conduisent parfois à faire perdre de vue que les mots ont un sens et qu’il est bon qu’il soit valable pour tous. La sélection draconienne des entrées crée un ensemble aisément maîtrisable. Cet aspect est très précieux dans un univers où l’on dit manquer de repères.

L’interdiscipline

Un autre mérite des auteurs est de dessiner le champ (inter)disciplinaire de quatre métiers ayant pour fondement ou corollaire la gestion de documents, au sens d’ « élément de connaissance ou source d’information ». S’il y a bien une avancée due à Internet, c’est de permettre la convergence d’institutions, quelles que soient leurs traditions particulières, autour de la thématique de la documentation. Cela constitue un progrès incomparable pour le chercheur. Un nouvel acronyme, GLAM (pour Galleries, Libraries, Archives et Museums), signale d’ailleurs les initiatives visant à relier des ressources et bases de données dans ces domaines. Grâce au langage XML, au Web de données et au Web sémantique (voir ces mots dans le livre), les bases de données constituées de façon autarcique dans chaque univers professionnel peuvent enfin se combiner entre elles, enrichir et partager leurs informations.

Le contenu

Le tour de force de ce volume est de proposer pour chaque entrée une définition à la fois concise, précise et nuancée. Par exemple l’entrée « ontologie » – qui a acquis un sens précis et technique dans le domaine de l’information – rappelle la parenté de ce mot avec la notion traditionnelle de « thésaurus », mais obéit à « des règles plus contraignantes pour réduire le risque de mauvaise interprétation avec les machines ». Associer des concepts récents à des concepts plus anciens permet d’en mesurer facilement la portée et souligne qu’ils ne viennent jamais de nulle part.

Autre exemple, le terme « information » est sobrement défini comme « connaissance ou élément de connaissance formalisé ». Cette formulation, suffisante pour les professionnels de ce domaine ne doit pas faire oublier que ce terme fait l’objet de discussions infinies sur son sens et sa portée, d’un point de vue philosophique, économique ou sociologique, dans un monde qui s’est désigné comme société de l’information.

L’illustration est également présente, que ce soit par des schémas (comme celui du modèle FRBR ou le tableau des licences creative commons), des copies d’écran (comme la présentation d’un index KWIC) ou encore quelques photographies. Figurent aussi bien des dispositifs actuels que des technologies traditionnelles, voire celles d’une époque révolue: personnellement je n’ai jamais côtoyé une carte à fenêtre!

Toutes les entrées sont traduites en allemand et en anglais, listées alphabétiquement en annexe dans chacune de ces deux langues, afin de retrouver aisément toutes les équivalences. Enfin, une « bibliographie-webographie » mentionne les principales ressources lexicographiques sur lesquels les auteurs se sont appuyés.

(Voir aussi l’interview des deux auteurs par Archimag à propos de la genèse des 500 mots métiers, sur le site de Jean-Philippe Accart)

L’édition en sciences humaines est-elle plus vertueuse que dans les sciences dures?

L’édition en sciences humaines est-elle plus vertueuse que dans les sciences dures?

EDLL aime réfléchir sur cet écosystème du livre qui lie auteurs, éditeurs, libraires et bibliothèques. Ses lecteurs savent que la révolution numérique est particulièrement complexe dans ce domaine. Le livre porteur de textes sert de média de diffusion depuis des millénaires, et se développe encore plus efficacement par Internet et le web depuis maintenant une génération.

Pour autant, le support papier est incroyablement résistant, car complètement indépendant de tout dispositif technique de restitution, à l’inverse de la musique ou de la vidéo. Bien qu’il ne soit plus incontournable, le livre papier offre une modalité de lecture qui conserve sa valeur, bien que celle-ci varie selon les sensibilités personnelles. EDLL, bien qu’étant à la base une maison d’édition numérique, fait aussi une part à la demande de papier.

La pression de l’open access

Selon l’adage, l’information « veut » devenir libre en circulant sur les réseaux. Les réseaux sont devenus l’idéal des bibliothèques, qui ont toujours prôné l’accès gratuit à l’information. Les bibliothèques soutiennent fortement, et naturellement, les mouvements open access, et bâtissent des bibliothèques numériques ou des serveurs d’archives institutionnelles de plus en plus riches.

L’open access est aussi une réaction justifiée contre les grands éditeurs scientifiques internationaux. Ils ont su capter les profits de l’explosion de la production d’articles au cours du 20e siècle, [1] puis consolider leurs marges bénéficiaires en négociant habilement le tournant numérique dans les années 1990. [2] Les particularités du système de communication scientifique et les enjeux considérables qui lui sont liés (réputation, évolution des carrières scientifiques, accès au financement pour la recherche) ont contribué à verrouiller ce système.

Il est devenu commode d’opposer les mondes de l’édition STM (Sciences, techniques et médecine) à celui de l’édition SHS (Sciences humaines et sociales): d’un côté quelques mastodontes ultra profitables, de l’autre un émiettement de structures de dimension modestes, souvent à la limite de la rentabilité. D’un côté une langue (l’anglais) et un marché global; de l’autre une diversité linguistique qui compartimente les publications sur des marchés régionaux. L’usage est majoritairement numérique d’un côté, encore largement imprimé de l’autre.

Concilier accessibilité et activité commerciale

L’existence des éditeurs SHS traditionnels dépend beaucoup des ventes physiques et se trouve particulièrement menacée par l’open access.

Deux études françaises complémentaires sorties en 2015 ont tenté de mesurer et d’expliciter la fragilité de ce secteur. Elles concernent avant tout le marché des revues – notamment celles hébergées sur la plate-forme Cairn – pour lequel une masse critique et un recul suffisants sont disponibles. Mais les résultats peuvent être sans problème étendus au marché des livres.

La première étude, conduite par l’Institut des politiques publiques de Paris [3], cherche à déterminer quelle est l’influence sur l’audience de la revue d’une politique d’open access, par rapport à des accès protégés par mot de passe pendant une période plus ou moins longue.

Pour tirer des revenus tout en préservant la diffusion physique imprimée, l’accès sur le portail doit être temporairement payant. Ce sont les organisations, bibliothèques académiques surtout, qui paient des abonnements pour l’ensemble de leur communauté. Hors de ce cercle limité, les institutions non affiliées, les chercheurs indépendants ou les simples citoyens n’ont pas du tout accès à ces contenus.

L’étude met en avant un constat prévisible: plus la durée de protection est courte, plus grande sera l’audience de la revue, considérée sur la longue durée. En revanche, et c’est là un élément plus intéressant de la conclusion, le point de basculement se situe à 12 mois. Un embargo supérieur à une année entraîne une diminution des consultations trop importante pour pouvoir être rattrapée au fil des années suivantes. Or la plupart des revues Cairn ont une barrière mobile fixée entre 3 et 5 ans…

La seconde étude [4] s’intéresse aux conséquences économiques d’une réduction de la durée d’embargo à un an maximum pour les sciences humaines, comme l’encourage la recommandation européenne de 2012 « relative à l’accès aux informations scientifiques et à leur conservation ». La perte de valeur est importante pour l’éditeur: elle est estimée à 20% pour les versions papier. Celles-ci perdent évidemment d’autant plus de valeur que leur contenu est accessible rapidement de façon gratuite.

Il est difficile de ne pas avoir de sympathie pour l’open access. Mais une politique affirmée dans cette direction ne fait pas bon ménage avec la survie financière des éditeurs SHS. L’étude recommande une phase de transition et un soutien financier des pouvoirs publics pour dédommager les éditeurs qui acceptent une faible durée de protection préalable à la gratuité.

L’expérimentation du Fonds national suisse de la recherche scientifique

En Suisse également les nouvelles contraintes réglementaires édictées en 2014 par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), principal bailleur de fonds publics, a soulevé un débat nourri dans le milieu des SHS. Comme en France et ailleurs en Europe, l’open access est considéré comme un principe pour assurer l’accès public des résultats de la recherche issue de ses subsides. Le FNS est d’ailleurs signataire depuis 2006 de la Déclaration de Berlin qui promeut le libre accès à la connaissance. Dans le règlement FNS, les articles doivent être disponibles au plus tard 6 mois après leur publication, au plus tard 24 mois pour les livres. Les frais de publication peuvent être inclus dans les demandes de subsides. Cette mesure annoncée en 2014 a suscité beaucoup d’émoi chez les éditeurs de sciences humaines. Ils jouent en effet un rôle indubitable dans la diffusion des résultats scientifiques au-delà des cercles académiques, élargissant à la sphère publique le débat d’idées. [5]

Plutôt qu’une simulation économique, la FNS a alors voulu procéder de façon expérimentale à un projet pilote d’édition de livres scientifique en libre accès: OAPEN-CH. Les conséquences de l’open access sur la publication y sont étudiées selon deux modèles: 1) des livres publiés simultanément en open access, sans délai d’embargo, et sous forme imprimée payante, 2) des livres disponibles en open access 24 mois après la première publication, mais restant payants sous forme imprimée. Les premiers livres tests sont parus fin 2015 et sont disponibles aussi bien chez les libraires que sur les serveurs de bibliothèques universitaires et dans un entrepôt européen de livres en open access (OApen Library).

L’inconvénient de cette approche est qu’il faudra patienter encore un moment pour en tirer des enseignements sur le marché de l’édition, et qu’entre-temps d’autres initiatives, impulsions ou réglementations continueront à orienter ou modifier les conditions de cette activité économique…

Aucune des études dont nous parlons ne remet en question la place de l’éditeur SHS dans le circuit de communication de la recherche. La valeur de son travail éditorial, indispensable pour amener un texte au public n’est pas contestée. L’éditeur commercial y est aussi souvent aussi l’éditeur scientifique, qui participe directement à la création de la publication.

Il y a là un contraste saisissant avec la façon dont travaillent les éditeurs STM, qui abusent de leur monopole et renvoient une image de prédateurs, acceptée uniquement parce que personne ne veut voir le système s’effondrer. Dans les domaines STM c’est la communauté des chercheurs (les « pairs ») qui fait le travail d’éditeur scientifique, l’éditeur commercial étant presque uniquement un intermédiaire. Il gère la diffusion des revues, et, en les traitant comme des « marques » incontournables, garantit ou développe encore leur valeur financière.

Dans les sciences humaines, il arrive que tout ce travail soit fait par l’auteur lui-même dans le cadre d’une auto-édition. Editeur scientifique, éditeur commercial, garant et vendeur de ses propres recherches… Est-ce vraiment son rôle et doit-il aussi en avoir la capacité.

[1] Cf. l’étude classique sur la question de Derek John de Solla Price, Little Science, Big Science, New York, Columbia University Press, 1962. (Rero)

[2] Les articles de Christian Gutknecht sur son blog wisspub.net sur les montants versés par les bibliothèques universitaires suisses ne laissent aucun doute sur la profitabilité du secteur.

[3] Maya Bacache-Beauvallet, Françoise Benhamou et Marc Bourreau, Les revues de sciences humaines et sociales en France: libre accès et audience (Rapport IPP n° 11), Paris, Institut des politiques publiques, juillet.2015.

[4] L’Open Access et les revues SHS de langue française. Tendance. Environnement réglementaire. Perspectives 2018, Idate Consulting, Cairn Info.

[5] A nouveau, pour une approche claire des enjeux: Eliane Kurmann et Enrico Natale, L’édition historique à l’ère du numérique. Un état des lieux du débat en Suisse, Traverse, revue d’histoire (3), 2014, p. 135‑146.

Livre papier, livre numérique – quel destin?

Livre papier, livre numérique – quel destin?

Le livre à l'ère numérique, 2014

L’auteure, spécialiste de l’économie de la culture, enseigne à l’Université Paris-XIII et a à son actif de nombreuses publications. D’une écriture alerte, elle signe avec Le Livre à l’heure numérique une analyse profonde et documentée de cette forme d’expression emblématique de notre civilisation. Le livre, en effet, se transforme sous l’emprise du numérique. La comparaison avec la mutation d’autres secteurs – presse, musique, vidéo – est intéressante mais l’évolution du livre se fait de manière à la fois plus nuancée et moins rapide.

Les conditions dans lesquelles j’ai lu Le Livre à l’heure numérique illustrent bien ces paradoxes actuels, au-delà de mon cas personnel. J’aurais bien sûr pu l’emprunter dans ma bibliothèque préférée, mais je préférais disposer d’un exemplaire sans entraves. J’aurais pu l’acquérir en numérique pour éviter d’encombrer mes étagères, mais la perspective d’un exemplaire bridé par les DRM ne m’enthousiasmait pas vraiment. J’ai donc opté pour l’achat classique d’un « vrai » livre papier en magasin, après avoir repéré sa disponibilité immédiate via le catalogue d’un réseau de librairies indépendantes.

Cette lecture passionnante suscite quelques commentaires:

>  1
D’abord une évidence: le contenu ne change pas fondamentalement sur papier ou en numérique. Dans un cas comme dans l’autre, le livre reste d’abord une suite de mots qui informent, content une histoire, captivent, émeuvent… De la même façon que pour le son ou l’image animée, le « passage au numérique » est avant tout un enjeu technique.

En revanche la relation au livre lorsqu’il est numérique, ce que cette forme induit tant sur un plan personnel que social, change considérablement. Contrairement aux autres médias, le livre papier n’est pas un support technologique, il n’exige aucun outillage de restitution, alors que le son et l’image animée, même analogiques, ont toujours été dépendants d’un dispositif pour être appréhendés. Cette principale différence, sur laquelle l’économiste aurait pu à mon sens insister davantage, explique en grande partie la rupture que le passage au numérique représente pour le livre, et en quoi cette mutation, bien plus conséquente que pour les autres médias, induit aussi une plus grande complexité.

>  2
Françoise Benhamou note que cette évolution a un caractère à la fois inévitable et imprévisible. Inévitable, car l’accoutumance au numérique est patente et progresse continuellement. Que de chemin parcouru lorsqu’on se souvient des années 1980, où il était quasiment impossible d’illustrer des textes informatiques par des images ou des graphiques, trop coûteux en mémoire… et des premières années du Web, quand le patron de Microsoft avouait imprimer systématiquement tout document de plusieurs pages pour le lire plus tranquillement et confortablement! L’arrivée et l’adoption de dispositifs de plus en plus nomades (ordinateur portable, smartphone, liseuse, tablette…) ont généré des potentialités et des inclinations nouvelles pour le livre numérique. Il a dès lors été possible de l’adapter à tous les champs d’utilisation du livre en papier, qui semblaient jusque là presque inimaginables.

L’évolution, la rapidité d’adoption ou le refus de ces dispositifs sont pour le secteur de l’édition très déstabilisants et difficiles à intégrer dans un plan d’avenir. Alors que la presse voyait dans la tablette un dispositif idéal pour se relancer, elle peine toujours à retrouver un modèle économique rentable. Cela est inquiétant, car la crise de la presse « met en question non seulement des emplois, mais aussi certains fondements de notre démocratie pour laquelle le journal joue un rôle essentiel » (p. 30).

>  3
Le monde de l’édition est déchiré à l’idée de s’éloigner d’un écosystème fondé sur le papier, en diminution certes, mais qui assure encore l’essentiel de ses revenus. Dans le circuit traditionnel, le recours à des processus de fabrication industriels impose une limite naturelle à la (sur)production de livres. La promotion, via le réseau des diffuseurs et des libraires, sans négliger le rôle des bibliothèques, organise et assure la rencontre du livre avec ses lecteurs. Même s’il paraît lourd, ce système fonctionne, de manière prévisible et rassurante.

Malgré une politique publique de soutien affirmée à la filière du livre, en France de nombreuses librairies – même les grandes chaînes – sont en difficulté et ferment. Comme l’explique bien l’auteur, il en résulte une moindre exposition des livres dans l’espace public, qui induit pour la lecture une spirale à la baisse, de la même façon que la presse papier fait l’expérience de l’érosion des tirages en raison de la diminution des points de vente.

Face à cette organisation l’écosystème du livre numérique impose des règles nouvelles et déroutantes. Le statut du livre y est très différent: « Le texte est encerclé de toutes parts. L’œuvre se perd dans l’océan des écritures numériques, et tout un continuum se forme entre différentes formes d’expression, depuis le tweet, le blog et jusqu’au livre augmenté. » (p. 153). Le défi en termes de promotion est d’une toute autre nature et doit s’appuyer sur une stratégie qui permet aux prescripteurs de faire connaître et de relayer les parutions. Françoise Benhamou souligne que le numérique, par sa nature virale, peut être un vecteur de renforcement des succès et donne également leur chance d’être remarqués à des titres plus confidentiels. C’est l’effet de la longue traîne. Cependant, le travail de promotion semble considérablement plus difficile et aléatoire, ou en tout cas exige des professionnels des capacités bien différentes qu’auparavant.

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Une notion revient comme un leitmotiv: devenu numérique, le livre subit une extraordinaire destruction de valeur. Le consentement à payer du client diminue fortement. D’abord par le fait que le coût de production des exemplaires, une fois que le livre est conçu, est nul. Ensuite l’usager doit acquérir ex ante un dispositif de lecture. Le mode de propriété devient incertain et tend plutôt à se limiter à un droit de lecture. Cela conduit à d’autres modèles économiques déjà testés pour la musique et la vidéo: l’accès en streaming sur abonnement à un catalogue plus ou moins étoffé de titres. Les rémunérations sont la plupart du temps dérisoires. Enfin, une part importante de cette valeur échappe au secteur culturel au profit des vendeurs de technologies et des opérateurs de télécommunications.

Françoise Benhamou n’oublie pas non plus ces acteurs du livre que sont les bibliothèques. « Le numérique se marie joliment avec le monde des bibliothèques. Il appelle le rêve de la bibliothèque universelle… » (p. 191). Mais là encore la réalité numérique change la donne. Le prêt numérique opéré par les bibliothèques est senti par les éditeurs comme une concurrence frontale à la vente ou aux offres en streaming. Inquiétés par la perte de valeur, auteurs et éditeurs sont peu nombreux à tenter ce risque ou alors à des conditions financières trop imprévisibles pour le service public.

Finalement un secteur éditorial semble avoir réussi, et de façon insolente, sa transition numérique: celui des revues scientifiques. Les éditeurs scientifiques ont verrouillé relativement tôt leur parts de marché en mettant sur pied des plates-formes de consultation pour les universités et centres de recherche, dès avant les années 2000. Si les utilisateurs plébiscitent ces formules d’accès, bien adaptées à leurs besoins, les bibliothèques dénoncent depuis plusieurs décennies le scandale du coût des abonnements en hausse continue. Contrairement aux autres branches de l’édition, le numérique n’y est pas synonyme de destruction de valeur, bien au contraire. Les bibliothèques tentent de résister en se regroupant et en demandant la mise en place de licences nationales, ou en soutenant les modes de publication alternatifs en Open Access, qui gagnent lentement en importance. Ce faisant, tout un tissu de maisons d’édition modestes, surtout en sciences humaines et sociales risquent de disparaître. La publication étant devenu un acte banal, elle brouille la perception de la valeur ajoutée qu’apporte un éditeur. En Suisse le débat s’est enflammé au printemps 2014 lorsque le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) a imposé dans son règlement, pour les résultats des recherches subventionnées, la publication en Open Access au plus tard deux ans après leur première publication[1].

Ainsi le numérique est aussi bien le « remède » que le « poison ». D’un côté « une profusion de documents et leur joyeux désordre » de l’autre une « destruction créatrice en œuvre dans le monde du livre » (p. 209-211). Ce qui est certain c’est que rien ne sera jamais plus comme avant. Le Livre à l’heure numérique est un jalon, fort utile pour nous aider à décrypter l’actualité de ce secteur fragilisé et sujet à concentration. En Italie le possible rachat de RCS libri (filiale de RCS Mediagroup) par Mondadori conduirait, avec 40% de parts de marché, à une situation monopolistique que dénonce Umberto Eco et de nombreux auteurs italiens ou étrangers. (voir Le Monde 25.02.215  et  Actualitté 26.02.2015). Tout le défi est de savoir si les valeurs profondes associées au livre – accès au savoir, liberté de création, d’expression et d’information – subsisteront, avec ou sans lui. D’autres billets ne manqueront pas de scruter cette interrogation.

[1] Enrico Natale, Eliane Kurmann. L’édition historique à l’ère du numérique. Un état des lieux du débat en Suisse, Traverse, 2014, n.3, p. 135-146.

L’édition en sciences humaines est-elle plus vertueuse que dans les sciences dures?

Charlie de papier

Le lectorat de la presse et des magazines imprimés s’érode progressivement. Mais après les événements récents, il n’aura échappé à personne que la dernière livraison de Charlie Hebdo a fait l’objet d’un engouement exceptionnel parfaitement à contre-courant de cette évolution.

Que l’on ne se méprenne pas sur mes propos. Il n’y a aucun jugement sur les motivations qui poussent tant de personnes à dénicher un exemplaire: soutien à une cause, à la valeur de la liberté de l’expression, désir de garder un souvenir tangible pour soi ou ses descendants d’un événement déjà gravé dans les consciences.

Ce qui frappe c’est  que ce journal que tout le monde s’arrache est un bien rare, alors même que le tirage a été revu à la hausse: queues infinies devant les kiosques par ci, stocks trop faibles et littéralement dévalisés en quelques minutes par là…

Si les circonstances n’étaient pas exceptionnelles, cette convoitise d’un support physique paraîtrait bien étrange à l’époque de l’information numérique. Les économistes nous ont expliqué que le numérique avait signé la fin de la rareté relative des biens d’information que le processus d’édition classique et le système de distribution représentaient*.

Or les lecteurs  de ce blog savent que la qualité du travail éditorial est avant tout de produire un texte dont le contenu – informatif, narratif, poétique – est jugé digne d’être rendu public et qui aura de la valeur pour les lecteurs qui voudront l’acquérir. Le contenu du n° 1178 de Charlie Hebdo en format numérique n’aurait rien perdu de sa charge satirique, de sa force: c’est rigoureusement le même contenu que celui du fascicule que l’on s’arrache. D’ailleurs plusieurs journaux ont diffusé par solidarité une double page déclinée tant en papier qu’en numérique , sans compter la une, largement diffusée sur Internet. Charlie Hebdo n’ayant pas de canal de diffusion numérique officiel, ce sont des versions PDF bricolées qui circulent sur le réseau.

Pourtant celles-ci n’empêchent en rien l’envie irrépressible du papier. Le fait que cette édition particulière soit convoitée très loin au-delà du cercle des habitués, montre bien que ce n’est pas vraiment pour le contenu lui-même, mais pour le symbole qu’il représente, un contact physique, au même titre que les rassemblements impressionnants qui ont eu lieu.

* Un prochain billet évoquera le livre de Françoise Benhamou, économiste de la culture: Le Livre à l’heure numérique. Papier, écrans, vers un nouveau vagabondage, Paris, Seuil, sept. 2014.