Le lectorat de la presse et des magazines imprimés s’érode progressivement. Mais après les événements récents, il n’aura échappé à personne que la dernière livraison de Charlie Hebdo a fait l’objet d’un engouement exceptionnel parfaitement à contre-courant de cette évolution.

Que l’on ne se méprenne pas sur mes propos. Il n’y a aucun jugement sur les motivations qui poussent tant de personnes à dénicher un exemplaire: soutien à une cause, à la valeur de la liberté de l’expression, désir de garder un souvenir tangible pour soi ou ses descendants d’un événement déjà gravé dans les consciences.

Ce qui frappe c’est  que ce journal que tout le monde s’arrache est un bien rare, alors même que le tirage a été revu à la hausse: queues infinies devant les kiosques par ci, stocks trop faibles et littéralement dévalisés en quelques minutes par là…

Si les circonstances n’étaient pas exceptionnelles, cette convoitise d’un support physique paraîtrait bien étrange à l’époque de l’information numérique. Les économistes nous ont expliqué que le numérique avait signé la fin de la rareté relative des biens d’information que le processus d’édition classique et le système de distribution représentaient*.

Or les lecteurs  de ce blog savent que la qualité du travail éditorial est avant tout de produire un texte dont le contenu – informatif, narratif, poétique – est jugé digne d’être rendu public et qui aura de la valeur pour les lecteurs qui voudront l’acquérir. Le contenu du n° 1178 de Charlie Hebdo en format numérique n’aurait rien perdu de sa charge satirique, de sa force: c’est rigoureusement le même contenu que celui du fascicule que l’on s’arrache. D’ailleurs plusieurs journaux ont diffusé par solidarité une double page déclinée tant en papier qu’en numérique , sans compter la une, largement diffusée sur Internet. Charlie Hebdo n’ayant pas de canal de diffusion numérique officiel, ce sont des versions PDF bricolées qui circulent sur le réseau.

Pourtant celles-ci n’empêchent en rien l’envie irrépressible du papier. Le fait que cette édition particulière soit convoitée très loin au-delà du cercle des habitués, montre bien que ce n’est pas vraiment pour le contenu lui-même, mais pour le symbole qu’il représente, un contact physique, au même titre que les rassemblements impressionnants qui ont eu lieu.

* Un prochain billet évoquera le livre de Françoise Benhamou, économiste de la culture: Le Livre à l’heure numérique. Papier, écrans, vers un nouveau vagabondage, Paris, Seuil, sept. 2014.