A tel point que beaucoup d’observateurs ont pu penser que le projet, était avec 35 millions de livres numérisés, si ce n’est achevé, du moins sur la voie de l’être et que Google se consacrait désormais à d’autres explorations stratégiques.
Quels enseignements pouvons-nous en tirer ?
1. Une des vertus managériales principales de notre temps est le “pragmatisme”. Les porteurs du projet servent cet argument: Google est un partenaire industriel capable de traiter en quelques semestres des centaines de milliers de livres. C’est donc un accélérateur de la numérisation et un bienfait pour les usagers qui vont pouvoir accéder à un patrimoine conséquent avec les outils de leur temps, un des objectifs majeurs de toute bibliothèque, avec un coût négligeable pour le contribuable, puisque Google prend en charge l’essentiel des frais. De plus il donne de sérieuses garanties quant au transport et la manutention des livres qui rejoignent les standards en vigueur pour les collections précieuses. Hubert Villard, directeur de la Bibliothèque cantonale et universitaire de Lausanne à l’initiative du projet Googlos (Google-Lausanne) s’enthousiasmait: “Les gens de Google sont terriblement pros et efficaces.” [3] Cela répond, dix bonnes années plus tard, au regret exprimé par la directrice de la Bibliothèque nationale, qui déclarait dans Le Temps: “La numérisation des bibliothèques publiques avance à pas d’escargot” [4].
Pages de titre d’une édition bilingue du poème “Les Alpes”, par le naturaliste bernois Albrecht von Haller (1795). Exemplaire de la Bibliothèque municipale de Lyon, numérisé par Google
2. Mine de rien, la Suisse est en passe de devenir avec cette opération un des pays qui a le plus ouvert les portes à Google, avec des bibliothèques partenaires dans les deux principales régions, germanophone et francophone. D’autant que le communiqué laisse la porte ouverte à d’autres institutions.
3. Le parallèle initiatives publiques vs Google livres est cruel: voilà bientôt dix ans aussi que la bibliothèque numérique e-rara.ch est ouverte. Elle a fonctionné d’abord avec de l’argent de la confédération, puis n’est financée que par les bibliothèques membres. L’avancée est loin d’être négligeable: le portail est réputé pour l’importance des documents et la qualité des images. Mais tous ces efforts n’ont conduit qu’à 75’000 titres offerts au public, et la reconnaissance de caractères (qui permet la recherche en texte intégral) n’est possible que pour les imprimés postérieurs à 1800… Google traite avec les bibliothèques des centaines de milliers de livres.
Est-ce à dire que seul un opérateur privé est capable, en Suisse, de s’occuper massivement de numérisation? En France Gallica héberge tout de même 642’000 livres, sans compter bien d’autres documents.
[1] Le communiqué de l’Université de Berne: “100’000 Bücher der Universitätsbibliothek Bern werden durch Google Books digitalisiert“, Universität Bern, 15.07.2019. Celui de la bibliothèque de Lucerne: “Google Books digitalisiert 60’000 Bücher der ZHB”. ZHB Zentral- und Hochschulbibliothek Luzern, 06.08.2019. Un article pour celle de Zurich: “Zentralbibliothek Zürich lässt Google an ihre Sammlung”, dans la Netzwoche du 16.07.2019. Ainsi qu’un sujet d’une émission de la radio suisse alémanique: “Schnelleres Digitalisieren – Google Books spannt mit Schweizer Bibliotheken zusammen”, SRF, 30.07.2019.
[3] 24 Heures, 16.05.2007. H. Villard retrace sa carrière dans le volume Entretiens, aux éditions L’Esprit de la Lettre, coll. Bibliothéchos.